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CHAPITRE Ier. — CARACTÈRES GÉNÉRAUX

plus de préoccupation morale. De ces deux ordres d’activité, il est difficile de dire lequel, au iiie siècle, a été le plus fécond : le nombre des écrits historiques, érudits scientifiques, est immense, comme celui des ouvrages philosophiques. Mais c’est certainement la philosophie qui fait le plus de bruit dans le monde et tient le premier rang dans la pensée des contemporains. Les érudits sont isolés et silencieux. La philosophie, au contraire, s’organise en écoles qui ont des chefs, des disciples nombreux, des établissements presque officiels, une tradition, toute une hiérarchie et une continuité qui sont le caractère des grandes institutions. Ces écoles attirent en foule les étrangers. Jeunes gens et hommes faits s’y enrôlent comme dans des ordres religieux et y restent généralement fidèles. Elles· se disputent d’ailleurs entre elles, et le bruit de leurs discussions remplit Athènes, comme, au moyen âge, les querelles d’Abailard et de S. Bernard, ou des Dominicains et des Franciscains, remplissaient l’Université de Paris. Les cigales dont parlait Socrate dans le Phèdre ne sont pas mortes ; elles continuent de babiller sans relâche : l’Académie, le Lycée, le Portique, le jardin d’Épicure retentissent de leurs disputes. Les philosophes sont si bien il la mode que c’est d’eux que se moquent les satiriques, un Timon, par exemple, dans ses Silles, un Philémon dans ses comédies.

L’esprit attique, dans ces emplois nouveaux, conserve quelques-unes de ses qualités essentielles : la curiosité intelligente et vive, la finesse déliée, le goût de la simplicité élégante, et même une certaine indépendance incoercible de la pensée, sinon du caractère : la foule, qui élève des statues aux tyrans, les chansonne ; les philosophes, docilement soumis au régime macédonien, s’enivrent d’une liberté intellectuelle illimitée. Le sentiment de l’art pourtant s’affaiblit à certains égards : il se