Elle se disait tantôt qu’elle donnerait la substance pour calmer les taureaux, tantôt qu’elle ne la donnerait pas ; elle pensait à périr elle-même, puis à ne pas mourir, à ne pas donner la substance, à supporter son mal sans rien faire. Puis, s’étant assise, elle réfléchit et dit :
Infortunée que je suis ! Entourée de malheurs, où me tourner ? Partout des incertitudes pour mon âme ; aucun remède à ma souffrance, qui ne cesse de me bruler. Oh !… si Artémis avait pu me tuer de ses flèches rapides avant qu’il me fût apparu ! Comment pourrai-je, à l’insu de mes parents, préparer les substances magiques ? Quelle parole dire ? Quelle ruse inventer pour dissimuler mon aide ? Lui parlerai-je en secret loin de ses compagnons ? Malheureuse, quand même il mourrait, je n’espère pas être soulagée de mes maux : lui mort, alors encore le mal m’étreindrait. Adieu pudeur ! Adieu l’éclat de ma vie ! qu’il soit sauvé par moi, et que, sans blessures, il s’en aille loin d’ici, au gré de son cœur !… »
Quintilien dit d’Apollonios que son poème mérite l’estime par une certaine égalité de qualités moyennes[1]. Ce jugement serait équitable s’il n’avait en vue que le début et la fin du poème ; appliqué au IIIe livre, il est certainement inexact : le créateur du personnage de Médée, Alexandrin et académique par tant de côtés, a eu aussi son heure d’inspiration et son éclair de génie ; c’est ce qu’il ne faut pas oublier.
V
La virtuosité verbale mise en honneur par Callimaque devait aboutir à d’étranges abus. Quand le culte du mot et de « l’écriture artiste » se détache de plus en plus du
- ↑ Quintilien, X, i, 54 (non contemnendum opus æquali quadam mediocritate).