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ATHÈNES

s’enchâsse en des phrases qui ont toute la souplesse, toute la variété, tout le naturel de la conversation d’un « honnête homme » qui pense tout haut, qui sourit ou qui se fâche, et qui n’est d’aucune profession ni d’aucune robe. On objectera peut-être Gorgias et Isocrate ; mais Gorgias n’est qu’une exception et Isocrate lui-même a beaucoup de véritable atticisme. Enfin cette langue naturellement excellente est écrite par des Athéniens de la vieille roche, qui l’ont, pour ainsi dire, dans le sang et dans les moelles, qui l’aiment, qui en sentent toutes les finesses, et qui ont le souci constant de la beauté littéraire. Depuis Thucydide jusqu’à Démosthène, tous les écrivains attiques sont des artistes.

Après Alexandre, les choses sont bien différentes. Faisons exception, cependant, pour la comédie, qui, par sa nature même, est une imitation de la vie quotidienne, et qui reste par conséquent plus fidèle que les autres genres à la simplicité traditionnelle du langage attique et à sa vivacité gracieuse. Mais si l’on prend la plupart des écrits en prose, histoires, traités philosophiques, on aperçoit aussitôt un changement notable. Les ouvrages en prose ne sont plus du tout, comme dans la période précédente, d’exquises œuvres d’art : ce sont des écrits savants ou ingénieux, composés par des hommes qui ont de l’instruction, mais qui ne sont pas artistes, et qui usent d’une matière moins belle qu’aux siècles antérieurs. Les mots simples cèdent peu à peu la place à des composés plus lourds, qui n’en sont pas plus expressifs[1]. Les termes abstraits abondent[2], et ce sont souvent en outre des termes techniques, étrangers au parler de tout

  1. Épicure dit toujours διαλαμβάνειν (comprendre), là ou Platon dirait λαμβάνειν.
  2. Xénophon disait, en termes concrets : Σωκράτης, ὥσπερ ἐγίγνωσϰεν, οὔτως ἔλεγεν (Mém. I, 1, 4) ; Épicure écrit d’une manière abstraite : οὐκ ἔσονται σοι τοῖς λόγοις αἱ πράξεις ἀκόλουθοι (Sentences, 25).