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CHAPITRE V. — POLYBE

gouvernement. La constitution est la source de toutes les idées et de tous les actes qui donnent naissance aux entreprises, et c’est elle aussi qui en détermine la fin[1]. » Il serait facile, assurément, de trouver déjà, chez Thucydide ou chez Xénophon, des vues ingénieuses ou profondes sur le caractère d’Athènes et de Lacédémone, sur l’organisation de l’armée spartiate, sur la constitution des deux cités. Il y a pourtant une grande différence entre ces vues un peu éparses et fragmentaires, et la conception si nette de Polybe. Ici, nous trouvons une doctrine, un système, et des applications aussi nombreuses que méthodiques de cette doctrine. C’est là tout autre chose qu’une vue de génie jetée en passant : c’est un progrès considérable et définitif dans la conception même de l’histoire ; c’est une étape dans l’évolution de la science historique, qui a commencé par se dégager lentement de l’épopée, et qui, peu à peu, arrive à se constituer comme une science positive, toujours en mouvement, malgré les périodes de déclin et de somnolence. L’objet final de l’histoire est d’étudier d’une manière de plus en plus délicate et minutieuse la vie infiniment complexe des nations. Ce sens de la complexité vivante des choses se développe aujourd’hui encore sous nos yeux chez les historiens. L’honneur de Polybe est d’avoir attaché son nom à l’un des moments de cette évolution ininterrompue. Le progrès dont il est l’auteur n’est pas, sans doute, une création totale de son esprit : les grands novateurs ont toujours des ancêtres. D’autres penseurs, avant lui, avaient étudié les constitutions et en avaient dit l’importance. Isocrate, l’un des premiers, avait déclaré en termes admirables que « l’âme des cités, c’est leur constitution, qui joue dans chacune d’elles le même rôle que l’intelligence dans le corps des indivi-

  1. Polybe, VI, 1, 9.