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SCIENCE DES CONSTITUTIONS ; RÉVOLUTIONS

dus[1]. » Les profondes recherches d’Aristote sur les constitutions des cités grecques et barbares avaient ensuite vulgarisé cette notion. Polybe est leur successeur. Isocrate, en particulier, qui lui a tant appris pour le style, est sans doute aussi, en quelque mesure, son principal maître à cet égard. Ce n’en est pas moins un mérite éclatant, chez Polybe, que d’avoir été le premier à faire pénétrer largement cette notion dans l’histoire, et, alors que tant de ses prédécesseurs se perdaient dans une érudition stérile, d’avoir montré par son exemple la voie qui devait conduire aux vérités nouvelles et fécondes. Ses études, demeurées classiques, sur les constitutions de Sparte, de Carthage, de Rome, sur l’organisation militaire des Romains[2], ses considérations sur la phalange[3] sont des monuments admirables de science historique solide et neuve. Ce n’est pas à dire que certaines erreurs, même graves, ne s’y mêlent pas. Il croit trop que les constitutions sont l’œuvre de législateurs presque surhumains, et qu’elles ont, par leur texte seul, une sorte de vertu mystérieuse qui transforme les hommes. Il attribue à Lycurgue une philosophie politique étrangement réfléchie et consciente. Il ne voit pas assez, à notre gré, que les constitutions elles-mêmes sont l’expression d’un état social plus que l’œuvre personnelle d’un homme. Ces erreurs inévitables sont la marque du temps et la rançon nécessaire d’un grand progrès. Elles n’ôtent rien ni à la justesse des vues de détail ni à la profondeur de la conception générale.

Un autre trait essentiel de sa philosophie historique, c’est la hardiesse avec laquelle il embrasse dans une vue d’ensemble l’évolution totale de ces grands êtres

  1. Aréopagit., 14.
  2. Ces études forment la majeure partie des extraits subsistants du livre VI.
  3. Polybe, XVIII, 28-33.