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CHAPITRE V. — POLYBE

qu’il étudie, les nations et les cités. Polybe sait à merveille que ces formes de gouvernement, dont il analyse avec tant de soin tous les ressorts, sont moins des mécanismes fixes que des organismes vivants, sujets par conséquent à se transformer et à mourir. Une cité n’est pas monarchique, aristocratique ou démocratique à perpétuité. Ces diverses formes se remplacent les unes les autres suivant un rythme régulier[1], et, dans l’évolution de chacune d’elles, il y a des périodes d’accroissement ou de déclin fort importantes à considérer, si l’on veut mesurer avec exactitude les forces respectives des peuples. Au temps de la guerre d’Annibal, Rome était dans sa pleine maturité, Carthage dans son déclin : de là une différence inévitable dans la vigueur de leurs résolutions, toutes choses égales d’ailleurs[2]. Cette loi inflexible d’évolution (ἀνακύκλωσις[3]) s’applique à tous les peuples. Rome elle-même n’y échappera pas : elle est florissante aujourd’hui ; mais déjà les germes de mort sont à l’œuvre, et un jour viendra où ils achèveront de détruire la constitution qui a fait sa force[4]. Ici encore, il est permis de chicaner Polybe sur certains détails de ses théories. Il semble quelquefois trop sûr de son fait. Il attribue à ses lois, trop simples, une rigueur trop « mécanique », selon le mot de Fénelon, et ne tient pas assez de compte peut-être de la complexité des choses et de la variété des circonstances. Il n’en est pas moins vrai que ce puissant effort pour dominer le détail des faits et pour ramener les contingences à une nécessité supérieure, est souvent aussi clairvoyant que hardi. Dans l’ensemble, il a presque toujours raison. À force de croire à l’empire des lois historiques, il devient pres-

  1. Polybe, VI, 5-9.
  2. Polybe, VI, 51.
  3. Polybe, VI, 9, 10.
  4. Polybe, VI, 58.