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SON STYLE

presque toujours fastidieux. Son architecture n’est plus celle d’un temple des Muses : c’est celle d’une usine ou d’une caserne. Son langage n’est plus celui des honnêtes gens d’une cité très artiste : c’est un pêle-mêle de termes incolores, de mots sans relief et sans charme, que charrie d’un train toujours égal une phrase uniformément abondante.

Le défaut essentiel du style de Polybe ne vient pas d’une négligence qui serait excusable chez un homme d’action, et qui pourrait être une grâce. Il s’applique à bien écrire. Il choisit des termes qui, de son temps, devaient appartenir à la langue des gens bien élevés, des termes nobles et savants. Il évite scrupuleusement l’hiatus. Il vise à l’ampleur de la phrase et au nombre. Mais il manque foncièrement d’art. Il n’a que du savoir et de l’acquis, sans aucune délicatesse naturelle d’oreille et de goût, sans ombre d’imagination verbale et de sensibilité.

Le dialecte de son histoire est la κοινὴ διάλεκτος, c’est-à-dire cet attique moderne, un peu artificiel, qu’écrivent tous les prosateurs de son temps. Rien à dire à ce sujet. Mais il l’écrit mal. La langue des gens instruits, au siècle de Polybe, est surchargée de mots abstraits. Les uns sont des termes techniques créés par la philosophie et les sciences ; les autres sont le produit naturel d’un état d’esprit nouveau, plus analytique et réfléchi que spontané ou imaginatif. Polybe a une prédilection visible pour cette manière de s’exprimer, qu’il trouve évidemment distinguée. Il aurait aimé, de nos jours, le jargon parlementaire et le jargon scientifique. Il aurait parlé d’ « agissements », de « compromissions », d’ « aboutissements », de « facteurs » et d’ « organismes ». De deux manières de rendre une idée simple, c’est la plus abstraite qu’il préfère, aussi naturellement que Xénophon préférait la plus concrète et la