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CHAPITRE V. — POLYBE

personnelle de Thucydide a fait place à une méthode toute différente : ici, l’auteur est toujours en scène, nous conduisant comme par la main, jugeant tout et expliquant tout, prévenant nos erreurs avec une attention infatigable. Au point de vue de l’art, il y aura des réserves à faire. Au point de vue scientifique, qui est celui où nous nous plaçons en ce moment, le procédé a du moins le mérite d’être très instructif, abondamment et clairement didactique.

VI

Le côté faible de Polybe, c’est celui qui relève proprement de l’art d’écrire. Son style est détestable, et sa composition, quoique bien supérieure à son style, présente de graves défauts. Le charme incomparable de la prose classique grecque, c’est de nous offrir, dans toutes ses productions, des œuvres d’art achevées. Chez un Thucydide, chez un Platon, chez un Démosthène, la composition est harmonieuse, le style est vivant et expressif. La langue qu’ils écrivent est d’une fraîcheur savoureuse où l’on reconnaît, sur un fond de parler populaire, d’heureuses trouvailles personnelles. Cette langue est très capable d’abstraction, quand la précision de la pensée l’exige ; mais le plus souvent elle est simple et concrète, et, quand elle recourt à l’abstraction, les mots qu’elle met en œuvre ont la netteté vigoureuse d’une belle médaille toute neuve. La phrase est souple, libre, variée, selon les mouvements d’une pensée qui ne suit aucune autre règle que la recherche passionnée de la vérité. L’œuvre entière est comme un être vivant, ξῷον ἓν ὅλον, qui marche et se meut avec aisance dans la justesse naturelle de ses proportions Chez Polybe, la composition manque souvent d’élégance, et le style est