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CHAPITRE Ier. — CARACTÈRES GÉNÉRAUX

vains ? Quels motifs les poussent à écrire et quels instruments ont-ils à leur disposition ?

Le peuple a cessé d’être un public pour les écrivains : voilà le fait essentiel. La foule qui remplit les rues d’Alexandrie se compose en majorité de fellahs égyptiens, d’Asiatiques, de Juifs, de courtisanes et d’esclaves. Dans cette foule bigarrée, on parle toutes les langues de la terre. À Antioche, c’est à peu près la même chose. À Pergame, le fond de la population est grec, mais comme la multitude n’a ni pouvoir politique ni traditions littéraires, elle tombe à un genre d’existence inférieur, et s’éloigne des lettres à mesure que celles-ci, de leur côté, par le progrès même et la complexité croissante du savoir, ont une tendance à devenir moins accessibles à tous. C’est ce qui se produisait même à Athènes, et par conséquent aussi dans les autres cités purement grecques, comme Syracuse. Ainsi, en tous lieux, par la nature des hommes et par celle des choses, la littérature, à cette date, se sépare du peuple. Celui-ci peut bien admirer encore des spectacles comme ceux que leur offrent les Ptolémées et les Antiochus dans les fêtes d’Adonis ou dans les processions du Mont Carios ; mais c’est surtout par le côté extérieur ou musical qu’il s’y associe. La poésie qu’on y récite lui échappe en partie. À plus forte raison tout ce qui, depuis cent ans, préoccupe de plus en plus les esprits éclairés, c’est-à-dire la science du passé, la science de la nature, la morale, tout cela lui reste étranger. Les écrivains ne s’adressent qu’à deux sortes de lecteurs : d’une part la cour, grecque d’origine et d’éducation, ordinairement lettrée, quelquefois intéressée par les études sérieuses, plus souvent amie des formes littéraires brillantes ou mondaines ; ensuite des lettrés de profession, des hommes qui vivent à l’ombre des bibliothèques ou des écoles, et qui passent tout leur temps à lire, à écrire, à disputer, cu-