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VALEUR MORALE ET LITTÉRAIRE

immense du passé ; on est bien aise d‘étaler son savoir ; on y met du pédantisme. Ensuite, comme la langue ambiante est prosaïque, on associe parfois d’une manière étrange des hardiesses archaïques à la platitude contemporaine. La langue de la poésie, dans la Grèce ancienne, avait eu son vocabulaire propre et sacré, pour ainsi dire, dont les éléments, malgré leur diversité d’origine, s’étaient fondus, par la vertu de l’usage et de la tradition, en un tout harmonieux et homogène. Mais cette harmonie était délicate et fragile. Au iiie siècle, elle subit plus d’une atteinte. Et cependant, jamais poètes ne furent plus savants que quelques-uns des Alexandrins, ni même plus curieux d’art. Si leur langue ressemble trop à une mosaïque, elle en a aussi les qualités. Jamais on ne prit plus de souci de bien choisir chaque mot et de l’enchâsser à la meilleure place. Chez un artiste comme Théocrite, ce souci délicat donne des finesses exquises de ton. Chez beaucoup d’autres, le résultat n’est pas en proportion de l’effort.

III

La littérature alexandrine, comparée à celle des âges précédents, est incontestablement une littérature de décadence. Et si la littérature est en baisse, c’est que l’homme lui-même vaut moins. Il y a là un grand fait et une grande leçon.

Ce n’est pas à dire que chaque homme alors soit moins intelligent, moins laborieux, moins savant que ses prédécesseurs ; mais, au milieu de ses livres, dans son école ou dans son cénacle, dans les plaisirs de la cour, il vit en somme d’une vie moins complète et moins noble que dans les vieilles cités grecques. L’air qu’il respire est