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CHAPITRE Ier. — CARACTÈRES GÉNÉRAUX

Il en résulte que la plupart de ceux qui écrivent la κοινὴ διάλεκτος, ont dû l’apprendre à peu près comme les clercs du moyen-âge apprenaient le latin, ou comme la haute société européenne des derniers siècles apprenait le français. La « langue commune » n’est pas tout à fait la langue maternelle de beaucoup de ceux qui l’emploient. Elle ne peut donc avoir, sous leur plume, toute la finesse, ni toute la saveur, ni toute la pureté, ni même toute la correction qu’on trouvait chez les écrivains de l’âge précédent. On avait déjà vu sans doute, au ve et au IVe siècle, l’ionien, puis l’attique, tendre à un rôle à peu près semblable ; mais c’était encore l’exception, et la tradition du bon langage était maintenue avec éclat par une foule d’écrivains dont la langue était bien à eux. Au iiie siècle, au contraire, le nombre de ceux qui écrivent en dialecte attique hors d’Athènes devient immense. Le véritable atticisme est comme submergé sous ce déluge, qui reflue jusque dans Athènes elle-même, et la pureté de la langue, en prose, est partout altérée. En poésie, il en est à peu près de même : les poètes n’emploient pas plus que les prosateurs le dialecte du pays où ils sont nés ; ils se servent du dialecte littéraire propre au genre qu’ils traitent, de l’ionien s’ils composent une épopée, du dorien s’ils font une œuvre lyrique, et ainsi de suite. Il n’y a que le mime et l’idylle qui s’attachent au dialecte vrai des personnages qu’ils mettent en scène. Dans les autres genres, les poètes écrivent une langue artificielle. En cela, il est vrai, ils se conforment à la tradition poétique de la Grèce : ni Sophocle, dans les chœurs de ses tragédies, ni Pindare, ni sans doute Homère lui-même n’avaient fait autrement. Mais il y a pourtant ici une double nouveauté très importante : d’abord, au iiie siècle, la langue poétique est infiniment plus bigarrée qu’elle ne l’avait jamais été ; on puise largement, non toujours avec assez de goût, dans le trésor