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CHAPITRE II. — D’AUGUSTE À DOMITIEN

les comparer et enfin les faire passer dans son récit[1]. Il déclare lui-même qu’il a lu et extrait les annalistes romains les plus renommés, Caton, Fabius Pictor, Valérius d’Antium, Licinius Macer, les Ælius et les Gellius, les Calpurnius, et beaucoup d’autres[2] ; et en effet, toute la substance historique de l’ouvrage de Denys est empruntée à leurs écrits. Il a, par là même, une valeur documentaire incontestable, puisqu’il nous a conservé, plus complètement que Tite-Live, une foule de témoignages précieux, qui représentent les traditions romaines, telles qu’elles s’étaient conservées ou créées peu à peu. Seulement, s’il a fait preuve d’exactitude dans ce travail, il n’en a pas moins manqué des qualités de jugement qui lui étaient indispensables pour le mener à bien. Rien chez lui de cette intelligence vive et intuitive qui aurait pu suppléer en quelque mesure à l’absence d’une véritable méthode critique. Il rapporte les vieilles fables, sans y croire, il est vrai, mais sans se montrer capable de deviner ce qu’elles contiennent de réalité. Les combinaisons mythiques qui plaisent à son patriotisme rencontrent chez lui une indulgence puérile : il ne veut pas douter que les Romains ne soient les descendants d’anciens colons grecs établis dans le Latium. Nulle recherche personnelle sur ces questions d’origine ; suivant pas à pas les vieux annalistes, il refait leur récit à sa manière, sans avoir plus qu’eux le sens exact de l’évolution naturelle des choses. Ses exposés de mœurs et d’institutions, clairs et bien composés, sont sans profondeur et sans cohésion. Incapable de profiter des exemples de Polybe, il se montre aussi dénué qu’on peut l’être de philosophie politique et de vues originales, dans une entreprise qui ne pouvait s’en pas-

  1. Ibid., I, vii.
  2. Ibid.