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DENYS D’HALICARNASSE

ser. Sa chronologie même, fondée sur le synchronisme des consuls de Rome et des archontes d’Athènes, prouve qu’il n’a pas aperçu les difficultés de sa tâche ou qu’il se les est dissimulées volontairement. On a l’impression, en le lisant, qu’il n’a jamais eu le sens de la vérité historique : satisfait des recherches faciles, qui ne demandaient que des lectures, il s’est arrêté devant celles qui auraient exigé un effort personnel, et il s’est satisfait lui-même avec des combinaisons spécieuses, d’une justesse purement apparente, capables de tromper seulement des regards peu attentifs.

Ces graves défauts sont bien loin d’ailleurs d’être compensés, comme chez Tite-Live, par le mérite littéraire. Le récit de Denys, correct et médiocre, semble une série d’amplifications, tantôt narratives, tantôt oratoires, composées selon les règles de l’école. Ce qui y manque le plus, c’est un accent personnel quelconque. Jamais rien qui ressorte, qui saisisse, qui émeuve ou qui fasse penser. Tout, dans cette longue composition monotone, est dit du même ton, tous les personnages y tiennent le même genre de discours, toutes les scènes y ont même couleur. En vain, on y chercherait quelque chose de romain. L’auteur ne semble pas s’intéresser avec force à la croissance de ce peuple, qu’il admire assurément, mais auquel il est si étranger par le caractère. D’ailleurs, comme il ne se rend pas compte des causes profondes de cette croissance, il ne sait pas en marquer les grandes phases. Nulle part l’organisation de la famille, celle de la cité, celle de la religion ne sont mises en relief comme des faits de première importance. Nulle part n’apparaît la continuité de la politique, personnifiée dans le sénat. Le lecteur suit mollement le cours du temps, assistant à un défilé d’événements que n’enchaîne aucun lien intime ; il n’a pour guide, dans ce long voyage monotone à travers les siècles, qu’un hon-