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CHAP. III. — RENAISSANCE AU IIe SIÈCLE

qu’il n’y avait alors aucun point de la morale sur lequel quelqu’un des grands Stoïciens n’eût dit des choses excellentes ; mais le principe même de la secte, Plutarque le rejette formellement, toutes les fois qu’il en a l’occasion. Les Stoïciens visaient à supprimer les passions ; il déclare, lui, que cela est impossible, et que ce serait d’ailleurs un grand mal. Les passions sont des forces ; qu’elles viennent à s’éteindre, l’âme sera inerte et comme morte ; bien loin de les détruire, l’homme éclairé doit uniquement viser à les mettre au service de la raison. Dans un temps où les meilleures natures inclinaient à l’ascétisme, entre Épictète et Marc-Aurèle, on remarquera combien cette vieille morale hellénique, si résolument reprise par Plutarque, était humaine, en même temps que conforme à toute la tradition nationale.

Cette modération indulgente, nous la retrouvons chez lui dans la critique des vices et des défauts. Jamais il ne s’est attaqué à aucune des passions qu’on peut appeler viles ou furieuses, à l’amour sensuel, à l’ambition ardente, à la haine. Il est vrai qu’il n’en a guère eu l’occasion : ses écrits sont en général des consultations ; ceux qui sont en proie à de telles passions n’ont pas coutume de consulter les moralistes. C’est à des défauts moyens, à des vices ou à des passions presque honorables, qu’il a seulement affaire. Mais sous ces défauts de société, d’autres que lui n’ont pas manqué de retrouver des violences sourdes et des germes redoutables, l’éternel égoïsme, la fureur des sens, la soif de jouir, en un mot l’arrière-fond de la bestialité humaine. Il y a des moralistes qui vont à cela tout droit, parce qu’il leur semble, non sans raison peut-être, que tout vient de là. Plutarque, lui, n’a pas cette clairvoyance aiguë et impitoyable, non plus que ce besoin opiniâtre de descendre au plus bas. Ce n’est pas un scrutateur de consciences troubles. D’ordinaire, il s’en tient à ce qu’on voit, à ce