Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t5.djvu/535

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
517
PLUTARQUE ; SES ŒUVRES MORALES

Le moraliste s’applique d’abord à faire trouver à celui qu’il conseille une occasion prochaine et facile de prendre l’avantage sur le défaut qu’il veut corriger. Une bonne action est le commencement d’une bonne habitude, et rien ne donne plus de courage qu’un premier succès. Dès que cette habitude tend à naître, il faut la développer. Au bon conseiller d’inventer toute une série d’exercices moraux, variés et gradués, qui auront justement cet effet. Cette invention, Plutarque y excelle. Le bavard s’imposera d’abord, dans une réunion, de ne parler qu’après tous les autres ; surtout, il s’interdira absolument à lui-même de répondre à la place d’un autre qu’on interroge. Voilà des occasions précises, bien définies, fréquentes. Ensuite, déjà un peu plus habitué à s’observer, il devra surveiller ses réponses, ne dire que ce qu’il faut, élaguer les digressions. Il se défiera de certains sujets favoris, qui l’attirent : un bavard, ami de Plutarque, ne pouvait s’empêcher de raconter à tout propos la bataille de Leuctres, qu’il avait lue dans Éphore ; chacun a sa bataille de Leuctres, qu’il doit éviter par dessus tout. Enfin, si le bavard ne vient pas ainsi à bout de son vice, il lui reste un dernier moyen, qui est de répandre son trop-plein sur le papier : il se soulagera en écrivant, et ce sera une véritable purgation morale[1]. Comme on le voit, le traitement est méthodique et complet. Pour l’appliquer à la colère, à l’indiscrétion, à la mauvaise honte, Plutarque n’a qu’à modifier la nature des exercices ; le plan et le genre des inventions restent les mêmes. Il y a, dans une telle méthode, de l’esprit, de l’ingéniosité, du sens pratique, et aussi de la bonté, c’est-à-dire quelques-unes de ses meilleures qualités.


Une dernière partie de la tâche du moraliste, c’est de

  1. Pour tout ce traitement, même ouvrage, ch. xix-xxiii.