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PLUTARQUE ; LES VIES PARALLÈLES

sans inconvénients au point de vue de la vérité du récit. Cette forme, plus oratoire que critique, semble remonter par ses origines à la rhétorique. Souvent employée par les orateurs, auxquels elle fournissait des antithèses fortes ou brillantes[1], elle avait passé de chez eux à l’histoire[2] et à la critique littéraire[3]. La biographie avait montré une tendance particulière à s’en servir : on la trouve comme ébauchée chez Varron, chez Cornelius Nepos[4]. Plutarque lui a donné seulement quelque chose de plus arrêté, et, surtout, il l’a popularisée, grâce au succès de son ouvrage.

Elle devait lui plaire, car elle satisfaisait en lui bien des sentiments. Il aimait profondément la Grèce et il admirait Rome. La civilisation grecque et la civilisation romaine lui apparaissaient, ainsi qu’à ses contemporains, comme les deux formes les plus hautes de la vie humaine ; et, malgré leurs différences, elles révélaient une sorte de parenté, qui autorisait et facilitait les comparaisons. Puis, dans l’état d’assujettissement auquel son pays était réduit, il était bien aise de le relever par ces glorieux rapprochements, en montrant, l’histoire en main, qu’à chacun des grands Romains la Grèce pouvait opposer un grand homme de valeur égale. On comprend donc que cette forme parallèle l’ait vivement séduit ; et il n’est pas douteux non plus qu’elle n’ait été goûtée de ses lecteurs, Romains hellénisants ou Grecs plus ou moins fascinés par la grandeur romaine.

  1. On sait quel usage en a fait Thucydide dans ses discours, puis Isocrate, Démosthène, etc.
  2. Polybe, comparaison de Rome et de Carthage, des diverses constitutions entre elles, au l. VI, etc.
  3. Cécilius, Parallèle de Démosthène et de Cicéron, Ps. Longin, même comparaison, etc.
  4. Varron, dans ses Imagines, avait groupé les Grecs et les Romains illustres avec une intention de comparaison. Le même dessein était plus manifeste encore dans les Viri illustres de Cornel. Nepos, voy. XXIII, 13, 4.