Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t5.djvu/594

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
576
CHAP. IV. — SOPHISTIQUE SOUS LES ANTONINS

Personne peut-être, en ce temps, ne laisse mieux voir que lui ce qu’avait de fâcheux l’influence de la sophistique. Très richement doué par la nature, Aristide, s’il eût vécu dans d’autres conditions, aurait été un homme supérieur. La sophistique le prit, le détourna de la vérité et l’empêcha de donner ce qu’on pouvait attendre de lui.

Il eut certainement, par instants au moins, l’ambition d’être autre chose qu’un orateur d’école. Sa fortune, le renom de sa famille, son talent, la considération dont il jouissait, son crédit à la cour pouvaient lui permettre de jouer un rôle politique. Un certain nombre de ses discours sont de véritables harangues, qui touchent aux affaires du temps. Lorsqu’on les lit, on sent qu’elles ont dû être applaudies et rester sans effet. L’orateur s’y montre plein de ressources, mais incapable de serrer de près la réalité. Habitué à n’argumenter que sur des thèmes scolaires et d’après des livres, il ne sait pas analyser les choses de la vie. Jamais la situation présente n’y est étudiée sérieusement : nul exposé précis des difficultés à résoudre, des intérêts à satisfaire, des ménagements à garder, nul sens pratique, rien d’immédiatement applicable ; de belles paroles, des développements toujours généraux, une éloquence académique, qui a de l’essor, mais qui ne sait pas marcher sur le sol[1]. Même en ce temps et sous la surveillance de l’autorité impériale, il y avait autre chose que cela à dire, pour être utile ; mais il aurait fallu être simple, franc, parler sans vain souci de plaire, aller droit au fait, appeler les choses par leur nom ; et c’était justement ce dont Aristide avait cessé d’être capable.

Ajoutons que les succès oratoires avaient étrangement

  1. Voir surtout le discours XLII, Περὶ ὁμονοίας ταῖς πόλεσιν, et comparer avec Dion (or. 38, 39, 40), qui est très supérieur en sincérité pratique.