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LUCIEN ; SON STYLE

en nous amusant ; il ne prend pas possession de nous complètement. Un vrai humoriste doit avoir plus de sensibilité qu’il n’en a. Rien ne charme comme un peu de bonté sous l’ironie, la sympathie sous la satire. Il y a de la sécheresse dans celle de Lucien.


Ces premières remarques prennent plus de force et de précision, si l’on passe, de l’analyse de ses qualités naturelles, à l’étude de son style et de ses créations littéraires.

Ce qui frappe le plus dans son style, c’est un curieux mélange d’imitation et de spontanéité. Pas plus qu’aucun de ses contemporains, Lucien ne puise directement dans le langage parlé autour de lui. Sa connaissance du grec, si familière et si fine qu’elle soit, lui vient surtout des livres. Dès sa jeunesse, il avait commencé à lire les auteurs classiques, et, pendant toute sa vie, il n’a cessé de les relire. Il sait par cœur Homère et Hésiode, il a présents à l’esprit mille souvenirs des lyriques, il connaît à fond les poètes de la tragédie et ceux de la comédie. Parmi les prosateurs, il a lu et relu les grands historiens et les philosophes, Hérodote et Thucydide, Platon et Xénophon, il a la mémoire pleine des orateurs, notamment de Démosthène. Grâce à une remarquable facilité d’assimilation, il est devenu dans leur commerce un véritable attique, non pas un attique exclusif, étroit et intolérant, comme quelques-uns de ses contemporains, mais un attique comme les hommes distingués de l’ancienne Athènes, qui ne dédaignaient rien de ce qui était grec, ni Homère, ni Hérodote, ni les Ioniens, ni les Doriens. Voilà d’où il tire presque tout son vocabulaire, sauf quelques mots plus récents, qui lui échappent par mégarde, ou qu’il admet pour ne pas affecter un purisme étroit ; voilà aussi d’où lui viennent quantité de locutions, de tours, de proverbes, de