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CHAP. V. — HELLÉNISME ET CHRISTIANISME

à Carnuntum, a dû être écrit entre 170 et 174. Le huitième est en tout cas postérieur à 169, date de la mort de Verus (voy. 25 et 37).

Comme doctrine, les Pensées n’offrent rien d’original. La philosophie qui s’en dégage est celle des Stoïciens de ce temps, en particulier d’Épictète, que Marc-Aurèle a bien connu par les Entretiens d’Arrien et le Manuel. Du reste, le goût de la recherche lui est plus étranger encore qu’à aucun des autres philosophes contemporains. Pour fond de croyance, un acte de foi envers la raison et la bonté divine. Rien n’existe, rien ne se produit, qui ne serve au bien commun. Si l’individu se croit lésé, c’est qu’il ignore le dessein universel, auquel sa souffrance contribue. Le philosophe, lui, croit de toute son âme à ce dessein, bien qu’il ne puisse ni le comprendre ni le deviner ; persuadé qu’il est souverainement bon, il s’y associe sans réserve. D’ailleurs, le seul mal réel, c’est le mal moral, celui qui vient de la volonté. Or, selon le mot d’Épictète, personne ne peut nous prendre notre volonté (λῃστὴς προαιρέσεως οὐ γίνεται. XI, 36). Mettre cette volonté en accord avec les prescriptions de la raison, qui est dieu en nous (τὸ ἐν σοὶ θεῖον XII, 1), c’est le but de la vie. Ainsi se réalise la double formule du stoïcisme : vivre selon la nature et se rendre semblable à Dieu.

Mais si ce fond de pensées n’est pas propre à Marc-Aurèle, voici ce qui lui appartient ; c’est la manière dont il s’en fait l’application à lui-même. Aucun livre de l’antiquité n’a un caractère aussi intime que celui-ci. Il consiste en une sorte d’examen de conscience perpétuel, au sens élevé du mot. Chaque jour, celui qui l’a écrit s’est interrogé lui-même. Il ne catalogue pas ses faiblesses, ce qui en tout cas n’eût pas mérité d’être transmis à la postérité : mais il se rappelle ce qui l’a troublé ; et il fixe sa pensée sur les réflexions qui, dé-