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MARC-AURÈLE

sormais, devront le consoler ou le fortifier. Le charme de ces notes, c’est de nous laisser deviner l’homme sans le dévoiler. L’auteur ne se confesse pas à nous : il ne nous parle guère de ses peines secrètes, des froissements de sa vie quotidienne, de ses doutes, de ses découragements, des désirs bas qui ont pu venir inquiéter son austérité, de ses appréhensions, de ses souffrances physiques el morales. À peine, çà et là, quelques allusions légères à ces choses. En général, une sorte de pudeur les tient cachées. Ce que le moraliste nous dit, c’est la réaction qu’elles ont provoquée en lui ; et si nous les devinons, c’est justement par cette réaction. Son livre est une méditation, non une confession, mais une méditation qui sort des incidents quotidiens, qui les suppose, qui permet de les soupçonner.

Pour ceux qui partagent, sous une forme ou sous une autre, l’optimisme imperturbable de Marc-Aurèle, qui ont foi comme lui en une raison suprême toujours orientée vers le bien final, ce livre peut devenir, et il a été souvent en fait, une sorte de manuel de la vie intérieure. Pour les autres même, il est loin d’être indifférent. Car il suffit de s’intéresser à ce qui est humain, pour observer avec sympathie les efforts incessants d’une raison et d’une volonté très nobles vers l’idéal qu’elles se sont fait. D’ailleurs, comme Marc-Aurèle n’enseigne pas, son ascétisme n’a pas le caractère dogmatique, autoritaire, et quelquefois rebutant, de celui d’Épictète. Le philosophe de profession nous fait la leçon ; l’homme simple et modeste qui était dans l’empereur se contente de réfléchir. Et, dans ses réflexions, toutes les qualités attachantes de cette âme, qui fut au fond très douce, se montrent sans cesse. Tantôt, c’est la reconnaissance délicate envers ses parents, ses maîtres, ses amis, tous ceux auxquels il a dû de bons exemples ou de bonnes pensées. Tantôt, c’est une mélancolie