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CHAP. VI. — DE SEPTIME SÉVÈRE À DIOCLÉTIEN

propos, il vient à Rome, est jeté en prison, comparaît devant Domitien et lui tient tête, puis rompt miraculeusement ses liens et quitte l’Italie librement. Ses dernières années se passent en Grèce et en Ionie, où il meurt sous Nerva.

En composant cet ouvrage fade et prétentieux, Philostrate ne paraît pas avoir songé le moins du monde, comme on l’a supposé, à donner à la Société païenne une sorte d’évangile ni à opposer Apollonios à Jésus[1]. Pas un mot dans son livre ne laisse soupçonner pareille intention. Mais le rapprochement devait se produire de lui-même à son heure. Le néo-pythagorisme mystique, ascétique, thaumaturgique, apparaissait là comme un idéal réalisé, dans le cadre d’une biographie merveilleuse, qui prétendait être historique, et qu’on acceptait pour telle. La forme même du récit, en ce qu’elle avait de sophistique, répondait au goût du temps[2]. Il était fatal que le paganisme, lorsqu’il chercherait un livre à opposer aux évangiles, choisît celui-là. C’est ce qui fut fait à la fin du iiie siècle par un certain Hiéroclès, gouverneur de Bithynie, dans son Philaléthès[3]. Cette tentative, et la réfutation qu’en a composée Eusèbe, ont

  1. Voir Philologus, nouvelle série, V, p. 137.
  2. On peut croire qu’il contribua à augmenter la réputation d’Apollonios. Caracalla lui dédia un sanctuaire (Dion Cass., t. LXXVII, ch. xviii) ; Alexandre Sévère avait sa statue dans son lararium (Hist. Aug., Alex. Sev., 29) ; il fut honoré, ou même adoré comme un dieu, à Éphèse (Lact., Inst. div., V, 3) ; et dès la fin du iiie siècle, son image se trouvait dans beaucoup de temples (Vopiscus, Aurel., 24). Vopiscus (pass. cité) écrit à son sujet : « Quid enim illo viro sanctius, venerabilius diviniusque inter homines fuit ? Ille mortuis reddidit vitam, ille multa ultra hominem fecit et dixit. Quæ qui velit nosso, græcos legat libros qui de ejus vita conscripti sunt. » Il se proposait d’écrire lui-même sa vie en latin.
  3. L’ouvrage d’Hiéroclès, perdu, peut encore être restitué dans ses grandes lignes, à l’aide de la réfutation d’Eusèbe, dont on trouvera le texte à la suite de la Vie d’Apollonios, dans le Philostrate de Kayser, t. I, Bibl. Teubner.