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CHAPITRE II. — PHILOSOPHIE AU IIIe SIÈCLE

faction des sens : théorie bien conforme à sa conception générale des choses, qui ramène tout à la sensation. Il a sur ce sujet des aphorismes d’une hardiesse un peu scandaleuse, d’un cynisme prémédité. « Supprimez, disait-il, les plaisirs des sens, je ne vois plus rien qui mérite le nom de bien[1]. » Ou encore : « Le bien, la vertu et toutes les choses de cette sorte méritent d’être honorées si elles apportent quelque plaisir ; sinon, non[2]. » — « Je crache sur le bien qui ne me procure aucun plaisir, et je méprise ses frivoles admirateurs[3]. » Suit-il de là que l’homme doive s’abandonner à toutes ses passions, ou suivre en aveugle, comme les bêtes, l’attrait du plaisir ? Non. Il y a d’abord de faux plaisirs, des plaisirs purement illusoires, comme il y a des douleurs imaginaires. Tels sont les plaisirs de l’ambition, de la gloire, qui ne sont que chimères[4]. De plus il y a des plaisirs qui produisent des douleurs, de même que certaines douleurs sont suivies de plaisir. La débauche et la plupart des vices sont, au total, une mauvaise affaire. La saine raison pèse les avantages et les inconvénients de chaque chose, et fait son choix en conséquence[5]. Savoir faire ce choix, c’est la véritable sagesse (φρόνησις)[6]. Avec la sagesse, on arrive facilement au bonheur. Épicure se moque des pessimistes[7]. Il croit que la nature, somme toute, est bonne, et que la plupart des maux qui troublent la vie humaine sont des créations de notre imagination chimérique. La crainte de la vie future, qui agite tant d’hommes, n’est fondée que sur l’ignorance de la physique. La crainte de la mort n’est pas plus raisonnable : la mort n’est effrayante

  1. Diog. L., X, 6.
  2. Fragm. 70 (Usener), dans Athénée, XII, p. 546, F.
  3. Fragm. 512, dans Athénée, XII, p. 547, A.
  4. Diog. L., 141.
  5. Diog. L., 129, 141, etc.
  6. Diog. L., 131-134.
  7. Ibid., 126-127.