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MORALE D’ÉPICURE

que par les apparences illusoires dont notre imagination l’environne[1]. Les douleurs physiques sont un mal plus sérieux : cependant elles sont aussi singulièrement grossies par l’imagination. Il y a une loi de compensation bienfaisante par laquelle, en général, les douleurs vives sont courtes au lieu que les douleurs longues sont tolérables[2]. Les vrais plaisirs, ceux que la nature réclame impérieusement, sont d’ordinaire faciles à trouver ; ce sont les plaisirs d’opinion, les faux, qui sont les moins accessibles[3]. En résumé, le bonheur est surtout négatif : il consiste à éviter les maux qui troublent la vie ; il réside essentiellement dans l’ataraxie (ἀταραξία). Le sage idéal est un homme qui atteint à l’ataraxie parfaite. Pour cela, il réprime ses passions, il se contente de peu, il ne recherche que les plaisirs raisonnables et légitimes. Il est prudent, il est moral, il est juste, il est pieux ; non par aucune admiration métaphysique pour la vertu, mais par le souci de son propre plaisir bien entendu. Il semble qu’Épicure ait voulu tracer le pendant du sage stoïcien[4]. Il va jusqu’à dire, comme Zénon, que le sage, fût-il mis à la torture, serait encore heureux[5]. Le paradoxe, déjà fort dans la bouche d’un stoïcien, devient peu explicable chez Épicure.

Quoi qu’il en soit, on voit que la morale d’Épicure, dans la pratique, aboutissait à des conclusions qui se rencontraient sur bien des points avec celles du stoïcisme lui-même. On peut aussi accorder à Diogène Laërce qu’Épicure donna personnellement le modèle de toutes les vertus, qu’il fut un des hommes les plus dignes d’estime et d’affection que la Grèce ait produits. S’il

  1. Ibid., 124-125 ; 139 ; etc.
  2. Ibid., 140 ; 142 ; etc.
  3. Ibid., 130 ; 133 ; 144 ; 146.
  4. Ibid., 117-121 (Usener, p.  330-342).
  5. Ibid., 118.