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PLOTIN

piter en lui d’ardentes aspirations vers l’idéal, il se dépouillait de son pédantisme suranné, il recommençait le rêve divin dont l’humanité ne se peut se passer. C’était vraiment un renouvellement et une renaissance ; d’autant mieux accueillis qu’ils se produisaient sans révolution, tout simplement par une compréhension plus profonde et plus large de ce qu’on avait cru jusqu’alors, par l’absorption des sentiments nouveaux dans la tradition rajeunie, qui semblait les appeler à elle. Voilà ce qui faisait la grandeur du néoplatonisme de Plotin ; mais voici le vice secret qu’il portait en lui-même et qui devait le perdre.

Cet élan vers Dieu, Plotin ne pouvait pas le demander uniquement à un mouvement de la raison et du cœur, puisque son Dieu était au delà du sensible et de l’intelligible. Il fallait donc qu’il eût recours à une sorte de violence, et qu’il se jetât dans le surnaturel par un transport et comme un sursaut. Au fond, tout dialecticien qu’il est, ni le raisonnement ni la logique ne le satisfait, non plus que l’observation. Bien éloigné, certes, de se reconnaître sceptique, il a pris du scepticisme le vif sentiment des limites de la connaissance. Seulement, comme son besoin de croire et d’aimer l’empêche de s’y résigner, il inventera d’autres moyens de savoir. Au delà du raisonnement, il y aura pour lui l’intuition ; et au delà de l’intuition, l’extase (ἔϰστασις (ekstasis), l’acte de sortir de soi). L’intuition, à l’entendre, saisit directement le pur intelligible, qui échappe aux sens, au raisonnement lui-même trop engagé dans les données sensibles. Mais ce qui n’est plus même intelligible, ce qui n’a plus de qualités saisissables pour la pensée, c’est l’extase seule qui peut l’atteindre[1]. Elle est le suprême effort de l’abstrac-

  1. Porph., V. de Plotin, 23 : Ὁ θεὸς ὁ μὴτε μορφὴν μὴτε τινὰ ἰδέαν ἔχων, ὑπὲρ δὲ νοῦν ϰαὶ πᾶν τὸ νοητὸν ἱδρυμένος (Ho theos ho mête morphên mête tina idean echôn, huper de noun kai pan to noêton hidrumenos).