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CHAPITRE II. — PHILOSOPHIE AU IIIe SIÈCLE

sage doit suspendre son jugement, s’en tenir au doute (ἐποχή) sur le fond des choses, et se contenter, dans la pratique, de la vraisemblance, établie sur une certaine logique du discours (τὸ εὔλογον). — Il mourut en 241, n’ayant écrit que quelques vers et quelques lettres[1].

Carnéade, né a Cyrène vers 215, mort en 129, acheva la théorie du probabilisme[2]. Il y avait, salon lui, trois degrés de probabilité (πιθανότης). Il distinguait les opinions simplement probables (δόξαι πιθαναί), celles dont la probabilité s’imposait par le force de certains arguments irréfutables (πιθαναί ϰαὶ ἀπερίσπαστοι), celles qui étaient de tout point irréfutables (ἀπερίσπαστοι ϰαὶ περιωδευμέναι)[3]. Mais cette force apparente de certaines opinions était, à ses yeux, purement logique[4]. Au fond, la vérité objective est inconnue. Son disciple Clitomaque disait n’avoir jamais pu découvrir une vérité que Carnéade tint pour absolument certaine[5]. Disputeur autant qu’Arcésilas, il l’était autrement : c'était moins encore un dialecticien qu’un orateur[6]. Sa voix puissante[7], sa fougue entraînante, l’éclat de son imagination[8], auraient peut-être fait de lui, à une autre époque, un orateur plutôt qu’un philosophe. En l’année 156, les Athéniens, ayant une contestation avec les habitants de Sicyone, envoyèrent trois députés au sénat romain pour défendre leur cause. Carnéade fut un de ces envoyés,

  1. Cf. Susemihl, p. 125.
  2. Diog. L., IV, 62-66. Cf. Numenius, dans Mullach, p. 160 et suiv.V. Susemihl, p. 127-131.
  3. Sextus Empir., Adv. Mathem., VII, 166 et suiv. Cf. Schwegler, Gesch. der griech. Philos., p. 447-448.
  4. Cicéron. Acad. II, ii, 31-32.
  5. Cicéron, Acad. II, ii, 45, 139.
  6. Sur ses querelles avec les stoïciens, Cf. Diog. L., IV, 62.
  7. Diog. L., IV, 63.
  8. Aulu-Gelle, VII, 14, 8, d’après Polybe (XXXIII, 2). Cf. Numenius, dans Mullach, p. 162-163.