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CARNÉADE

avec le péripatéticien Critolaos et le stoïcien Diogène[1]. Carnéade, comme ses collègues, profita de cette circonstance pour faire à Rome ce qu’on appellerait aujourd’hui des « conférences ». Il prit pour sujet : « la Justice ». Un jour, il démontra qu’elle existait ; le lendemain, il prouva à ses auditeurs qu’elle n’existait pas, et les laissa scandalisés[2] ; les Romains n’étaient pas encore mûrs pour cette sophistique.

On peut s’étonner que l’école platonicienne ait abouti à ces jeux d’esprit, qui sentent plus la manière de Protagoras que celle de Platon. Mais il faut remarquer qu’aux yeux de Platon lui-même le seul fondement de la connaissance vraie des choses, c’est la théorie des Idées, en dehors de laquelle il n’y a que des « opinions » plus ou moins douteuses et vaines. Il est donc très naturel que, la théorie des Idées étant peu à peu abandonnée par ses disciples (et cela dès la première génération), la place soit demeurée libre pour l’invasion des doctrines sceptiques, qui donnaient à la dialectique de si belles occasions de se déployer.

Il reste aussi à se demander jusqu’où allait, en définitive, ce scepticisme de la nouvelle Académie. M.  Martha, dans une charmante page de son mémoire sur Carnéade, prend sa défense. « Nous sommes, dit-il, tous probabilistes, vous et moi, savants et ignorants. Nous le sommes en tout, excepté en mathématiques et en matière de foi… En physique, nous accumulons des observations, et, quand elles nous paraissent concordantes, nous les érigeons en loi vraisemblable, loi qui dure, loi qui reste admise, jusqu’à ce que d’autres observations ou des faits autrement expliqués nous obligent à proclamer une autre loi plus vraisemblable encore… Dans

  1. Aulu-Gelle, loc. cit.
  2. Cicéron, Rép. III, 6 ; Plutarque, Caton, 22. Cf. Martha, Études morales sur l’antiquité (« Le philosophe Carnéade à Rome »).