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GRÉGOIRE DE NAZIANZE

seur de la tradition. En lui, l’orateur seul a son originalité incontestable.

Son éloquence est moins simple que celle de Basile ; mais elle a plus d’ampleur et plus d’éclat. Basile s’oublie lui-même, il ne songe qu’à son sujet et au bien de ses auditeurs. Grégoire, chrétien tout aussi convaincu et prêtre aussi zélé, était pourtant par nature bien plus un « homme de lettres », et il n’a jamais cessé complètement de l’être. On sent, en l’écoutant, qu’il cherche à plaire, quelle que soit d’ailleurs l’élévation et la sincérité de son intention générale. Qu’il en ait conscience ou non, il y a toujours quelque coquetterie dans son art. Il aime l’antithèse ingénieuse et brillante, il se sert volontiers des figures qui font de l’effet, il conduit et organise sa phrase en artiste, pour l’oreille en même temps que pour l’intelligence. Le développement facile ne lui déplaît pas, alors même qu’il a plus d’agrément que de solidité. Trop charmé par l’élégance superficielle, il combine adroitement ses mots, comme il versifiait, par un goût naturel pour la symétrie ingénieuse. Volontiers aussi, il orne son expression ; il la veut poétique, sonore ; il est amoureux des images, des belles comparaisons, qu’il demande, s’il le faut, à la mythologie. Ce sont là des petitesses qui laissent trop voir en lui le disciple d’Himérios ; mais s’il importe de les signaler, il serait fort injuste de méconnaître ce qu’il y a de puissance naturelle et de génie sous cette forme un peu apprêtée.

Grégoire était une âme sincère, éclairée par une belle et lucide intelligence. Comme il a les défauts de son tempérament, il en a aussi les grandes qualités. Son Éloge funèbre de saint Basile, qui est peut-être son chef-d’œuvre, est vraiment un discours admirable. C’est un panégyrique, et pourtant l’orateur y parle avec son cœur. S’il ne craint pas de rappeler les quelques griefs qu’il a contre son ami, s’il ne peut lui pardonner complètement,