Page:Cromarty - K.Z.W.R.13, 1915.djvu/138

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

moment, avait certes de quoi exciter l’attention.

C’était un grand et robuste gaillard de vingt-quatre à vingt-six ans, à la physionomie intelligente et volontaire. Son visage paraissait antipathique à première vue. Sans doute la raison en était-elle que ses yeux se dérobaient et fuyaient les regards de ses interlocuteurs ; un observateur minutieux se rendait cependant bientôt compte que la timidité seule était la cause de ce manque de fermeté et qu’il émanait de cet homme plutôt une sauvagerie brutale qu’un manque de franchise.

Suttner ayant fini de compulser ses notes, les rendit à son greffier au moment où Stockton rentrait dans le bureau. Puis s’adressant au chauffeur :

— Comment vous appelez-vous ? commença-t-il.

— Otto Rosenthal.

— Vous êtes de Brownsville ?

— Non, monsieur.

— Où habitez-vous ordinairement ?

— À New-York.

— Ah !… Depuis combien de temps êtes-vous à Brownsville ?

— Depuis un an environ.

— Et vous êtes conducteur et chauffeur d’automobile ?

— Depuis que je suis arrivé ici.

— C’est vous qui avez conduit monsieur dans votre voiture aujourd’hui ?

Et Suttner désignait le général Kendall, en ce moment à côté de Weld.

— Pardon, monsieur, vous faites erreur, c’est monsieur que j’ai eu comme voyageur dans mon auto, répondit Rosenthal en montrant le banquier.

— C’est vrai, c’est en effet monsieur Weld que je voulais montrer. À quelle heure et où est-il monté dans votre voiture ?

— Il devait être exactement deux heures quarante minutes. Je suivais à une allure très lente Laredo Street quand je fus hélé par monsieur à la porte même de cette banque, ce qui m’a permis…

— Pardon, n’anticipons pas, je vous prie. Je vous ai prié de ne répondre qu’à mes questions. Donc, vous arriviez en face de la banque où nous voici lorsque monsieur Weld vous arrêta. Comment pouvez-vous affirmer de façon aussi certaine l’heure qu’il était ?

— Aussitôt que je fus arrêté, je mis mon compteur en marche, et comme j’en ai l’habitude, je regardai l’heure, pour éviter toute discussion possible avec mes clients. C’est ainsi que je puis vous affirmer de façon certaine qu’il était deux heures quarante.

— N’avez-vous rien remarqué de particulier avant d’arrêter votre voiture ?

— Je ne comprends pas bien votre question, monsieur ?

— N’avez-vous rien remarqué dans la rue ?

— Non, monsieur.

— Passait-il beaucoup de monde ?

— Comme d’habitude.

— Monsieur — et Suttner désignait le banquier — n’a-t-il pas été bousculé avant de vous appeler ?

— Ah ! c’est cela que monsieur voulait savoir.

— Répondez à ma question.

— Il m’a bien semblé que quelqu’un, un individu habillé d’un vêtement clair, avait heurté monsieur, mais lorsque je suis arrivé à hauteur de leur groupe, j’ai vu cet homme soulever son chapeau et partir assez vite. J’ai cru que lui et mon client se connaissaient. Je n’ai du reste attaché à ce fait aucune importance.