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geante, aimant doser l’absinthe, le bitter, le wisky, le cognac, le genièvre, parfois le champagne en mélanges savants.

En Amérique, le barman qui invente un cocktail nouveau est célèbre du jour au lendemain à la façon d’un boxeur fameux ou d’un champion de quelque chose, aussi ramasse-t-il en pourboires, une petite fortune en quelques jours.

Les barmen du « Brownsville Bar » étaient fameux dans toute la ville. La clientèle la plus diverse fréquente cet établissement où chaque classe de la société a sa salle spéciale.

Jamais un nègre ou un homme de couleur ne se hasarderait dans la salle de « marbre campan vert », réservée à la « société blanche » et les indigènes mexicains se garderaient de fréquenter le salon en « brèche violette » où se pressent les Américains du nord immigrés à Brownsville.

Est-ce parce que leur teint foncé ressort mieux sur le rouge que les nègres affectionnent le bar en marbre griotte ? Mystère ! Quant aux Indiens qui dépensent souvent en une journée le gain de plusieurs mois de travail de leurs squaws, habiles à tisser des couvertures agréablement polychromes, ils s’assemblent dans la salle magnifique aux panneaux de Brocatelle d’Espagne, où les tons jaunes, verts et violets se mélangent de si harmonieuse façon.

Au fond du vestibule, un majestueux escalier dont les marches sont couvertes d’un épais tapis rouge moëlleux aux pieds, conduit dans les salons du premier.

Ceux-ci sont uniformément décorés en blanc et or. Des glaces immenses placées en vis-à-vis, font paraître illimitée la profondeur des pièces, et l’on y a la joie — ou la gêne — d’y voir se refléter à l’infini des gestes les moins gracieux en mangeant un beefsteack aux pommes.

Pour être riche (!) le décor est riche ! Il serait de mauvais goût si les salles n’avaient pas des proportions aussi vaste. Leurs dimensions « colossales » font accepter le luxe trop criard. Quant à l’ameublement, il est copié sur les plus riches modèles des siècles passés. Il y a des mobiliers Louis XIV, Louis XV, Louis XVI et Empire ; chaque époque a son salon, et le tout a coûté un prix fou.

Le Carlton Brownsville Bar a été construit en vue de remplacer par un superbe casino les modestes salles de jeux des « salons » qui émaillaient, il y a quelques années, ce quartier à cette époque assez mal fréquenté.

L’industriel qui avait eu l’idée de loger ses tapis verts dans un palais fit fortune en deux ans.

C’était un Mexicain avisé qui connaissait la passion furieuse de ses compatriotes pour le jeu. Il savait du reste l’art délicat de corriger le sort lorsque celui-ci lui était défavorable, mais comme il le disait avec une déconcertante bonhomie, quand il se levait du tapis vert, après avoir, dans une banque « razoir » raflé l’argent des malheureux pontes :

« On dit que je triche. C’est exagéré ! Je ne triche que quand j’ai perdu, pour me rattraper. Quand je gagne, je joue loyalement ! »

Talent particulier, si l’on veut et loyauté toute spéciale.

Tant que le Texas ne fut pas régi par les lois américaines, le jeu fut libre et les casinos pullulèrent, mais quand ces établissements, où s’engloutissaient des fortunes au profit de quelques particuliers, furent fermés au nom de la loi, le « Carlton Brownsville’s Club » fut transformé en « Carl-