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les passagers de première, bien entendu. Rappelez aussi à ceux qui profiteront de cette promenade que nous partirons avec la marée, sans attendre personne, et que les retardataires seront impitoyablement laissés à terre et perdront le prix de leur passage : on n’attendra pas.

— Ce sera fait, commandant.

— Alors, messieurs, à tout à l’heure.

— Quand arriverons-nous à Lisbonne ? demanda Marius.

— Demain, tout au matin.

— Vous comptez aller à terre ?

— Si ma fiancée me le permet, répondit-il en riant.

Et Marius, saluant les deux officiers, se rendit sur le pont-promenade où il espérait rencontrer Ketty.

Son mal de tête l’avait quitté ; aussi fut-ce le sourire aux lèvres qu’il souhaita le bonjour à sa gentille fiancée.

— Mon Dieu, d’où venez-vous, on ne vous a pas aperçu de la matinée ? lui dit-elle.

— j’étais avec le capitaine ; mais, chut, fit-il, en voyant Stockton et Gugenheim s’avancer vers eux. Ne parlons pas de cela.

— Bonjour, veinard, dit Gugenheim en l’accostant. On dit que la fortune vient en dormant. Vous, vous gagnez pendant que vous faites votre cour à mademoiselle, c’est avoir tous les bonheurs à la fois.

— Vous voulez parler du poker d’hier soir ?

— Vous ne vous figurez pas la chance de monsieur Stockton. C’est surtout le comte de Borchère qui a écopé, comme nous disons dans le grand monde !

— Vraiment, dit Ketty.

— Oui ; Quimby et moi, nous avons perdu aussi, mais raisonnablement, le comte, lui, jouait vraiment comme un emballé. Du reste, continua Gugenheim en s’adressant à Stockton, vous aviez l’air de l’hypnotiser, vous ne le quittiez pas des yeux.

— Oui, répondu l’Américain, je regarde toujours en face les gens avec qui je joue. Bonjour, miss Ketty, mes souhaits de doux rêves se sont-ils réalisés ?

— Je n’ai pas rêvé, mais j’ai admirablement dormi.

— Et vous, monsieur Boulard ?

— J’ai dormi en tous cas profondément, répondit Marius.

— Pour moi, j’ai passé une nuit un peu agitée, mais je ne regrette pas d’avoir veillé assez tard.

Et Stockton regardait Marius en souriant.

Celui-ci ne pouvait s’empêcher de douter de ce qu’il avait vu : l’Américain montrait un tel flegme, une si belle assurance de soi que Marius se demandait si vraiment tout ce qui s’était passé n’était pas un rêve, et il avait besoin de tâter dans la poche de son gilet la petite boulette de cire pour s’affermir dans la certitude que les événements de la nuit étaient réels.

— Ah ! voici monsieur et madame Roseti.

La belle Argentine s’avançait, suivie de son mari. Après les compliments d’usage, tous s’installèrent sur les chaises en rotin, les pliants, les fauteuils à bascule qui offrent sur le pont-promenade, leur confort aux passagers.

Le temps continuait à être splendide. À peine si une légère brise donnait prétexte aux femmes de s’entourer de voiles de tulle, de jeter sur leurs épaules de légers mantelets de dentelles.

Du reste, abrités du vent par la cloison à laquelle tous étaient adossés, l’air un peu vif de la mer qui fouet-