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LE COFFRET DE SANTAL

Cadavres, rocs brisés, qu’aux montagnes lointaines,
Aux terres grasses, aux hameaux, aux vastes plaines,
Il a volé, voulant rassasier la mer.
Et tout s’entasse, obstacle au Fleuve. L’homme fier
Trouve ici les débris distincts de chaque année,
Aux temps obscurs où sa race n’était pas née.

Tout le pays est gai. De loin le chant des coqs
Fend la brume. Voici les bassins et les docks,
Les cris des cabestans, les barques amarrées
D’où mille portefaix enlèvent les denrées,
Ballots, tonneaux, métaux en barres, tas de blés.
Aux cabarets fumeux, les marins attablés
Se menacent, avec des jurons exotiques.
On trouve tous les fruits lointains dans les boutiques.

L’eau du Fleuve s’arrête, un peu troublée, avant
De se perdre, innommée, en l’infini mouvant.

C’est comme une bataille en ligne régulière :
Escadrons au galop, soulevant la poussière,
Les vagues de la mer arrivent à grands bruits,
Blanches d’écume, ayant des airs vainqueurs, et puis
S’en retournent, efforts que le Fleuve repousse
Avec ses petits flots audacieux d’eau douce.