Page:Cultru - Un empereur de Madagascar au XVIIIe siècle - Benyowszky.djvu/98

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un établissement et d’assujettir l’île au gouvernement français, il avait accompli sa mission ; il se plaignait de l’abandon systématique où le laissait l’île de France, il faisait le plus triste tableau de l’état de ses hommes : il lui semblait qu’ils lui reprochaient à tout instant la dureté de leur sort par la nudité qui les rendait pareils à des sauvages ; épuisés par des travaux, des courses sans relâche, par les vicissitudes de la guerre, ils avaient perdu le goût du pain et des boissons d’Europe. Il ne devait la conservation de sa conquête qu’au noble désespoir qui les avait décidés à finir leurs jours, s’il le fallait, avec gloire, en braves et zélés sujets du roi. Mais, si les secours tardaient, il déclarait ne savoir quel parti prendre pour sauver l’établissement de sa perte, ajoutant, d’ailleurs, que la réputation qu’il avait gagnée en Pologne et que des nations entières ne lui avaient pas refusée, n’était rien auprès de celle qu’il avait méritée justement à Madagascar.

Il est certes difficile de concilier la pénurie dont Benyowszky se plaint en termes pathétiques avec l’abondance qu’il décrit complaisamment dans ses lettres de mai précédent. Ces milliers de bœufs, tribut des provinces soumises, ces quintaux de riz offerts opiniâtrement à l’île de France, qui ne voulait pas les prendre, auraient dû suffire à la subsistance de la troupe et à lui procurer par achat les marchandises et objets qu’on ne trouvait pas dans l’île. On pouvait aussi parer au délabrement des uniformes avec les ressources du pays. Enfin, Benyowszky avait envoyé à la côte d’Afrique un navire chargé de nègres ; il aurait pu négocier chez les Portugais ou chez les Hollandais le peu de marchandises européennes nécessaires aux 113 hommes, derniers débris de son corps de Volontaires. Mais sa détresse ne fut jamais telle qu’il la décrit ici, bien qu’il n’ait jamais été si près de dire la vérité. Il lui convenait de l’exagérer, soit pour faire mieux valoir ses prétendus exploits, soit pour nuire à ceux qu’il accusait de l’avoir abandonné. Il semble, d’ailleurs, oublier vite ce qu’il écrit : trois mois après