Il avait vingt-neuf ans lorsque j’entrai moi même comme élève ; la maîtrise que lui avaient données dix années entièrement passées au laboratoire s’imposait même à nous malgré notre ignorance, à travers la sûreté de ses gestes et de ses explications, à travers l’aisance nuancée de timidité de son attitude. On retournait avec joie dans ce laboratoire, où il faisait bon travailler près de lui parce que nous le sentions travailler près de nous, dans la grande pièce claire emplie d’appareils aux formes encore un peu mystérieuses où nous ne craignions pas d’entrer souvent pour le consulter, où il nous admettait aussi quelquefois pour une manipulation particulièrement délicate. Les meilleurs souvenirs peut-être de mes années d’École sont ceux des moments passés là, debout devant le tableau noir où il prenait plaisir à causer avec nous, à éveiller en nous quelques idées fécondes, à parler de travaux qui formaient notre goût des choses de la science. Sa curiosité vivante et communicative, l’ampleur et la sûreté de son information faisaient de lui un admirable éveilleur d’esprits.
J’ai surtout voulu, en rassemblant ici ces quelques souvenirs, en un bouquet pieusement déposé sur sa tombe, contribuer, si je le puis, à fixer l’image d’un homme vraiment grand par le caractère et par la pensée, d’un admirable représentant du génie de notre race.
Entièrement affranchi d’antiques servitudes, amoureux
passionné de raison et de clarté, il a donné l’exemple,
en prophète inspiré des vérités futures, de ce que
peut réaliser en beauté morale et en bonté, dans un
esprit libre et droit, le courage constant, la propreté
mentale, de toujours repousser ce qu’il ne comprend
pas et de mettre sa vie d’accord avec ce rêve.