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PIERRE CURIE

dire qu’il ne se sentait point combatif, et cela était entièrement vrai. On n’eût pu entamer une dispute avec lui, car il ne savait pas se fâcher. « Je ne suis pas très fort pour me mettre en colère, » disait-il en souriant. S’il avait peu d’amis, il n’avait point d’ennemis, car il ne lui arrivait jamais d’être blessant, même par inadvertance. Pourtant, on ne pouvait guère le faire dévier de sa ligne d’action, ce qu’exprimait son père en lui donnant le nom de « doux entêté ».

Quand il exprimait son opinion, il le faisait toujours avec franchise, car il était convaincu que les procédés diplomatiques sont, en général, puérils, et que la voie directe est à la fois la plus simple et la meilleure. Il acquit, par là, une certaine réputation de naïveté ; en réalité, il agissait ainsi par volonté réfléchie plutôt que par instinct. C’est peut-être parce qu’il savait se juger et se recueillir en lui-même qu’il était parfaitement capable d’apprécier avec lucidité les mobiles d’action, les intentions et les pensées des autres, et s’il pouvait négliger des détails, il se trompait rarement sur le fond. Le plus souvent il réservait pour lui ce jugement si sûr, mais il l’exprimait sans réticence quand il en avait pris la décision, avec la certitude de faire un acte utile.

Dans ses relations scientifiques, il n’avait aucune âpreté et ne se laissait pas influencer par l’amour-propre et le sentiment personnel. Tout beau succès lui faisait plaisir, même dans un domaine où il s’attendait à avoir la priorité. Il disait : « Qu’importe que je n’aie pas publié tel travail si un autre le publie », et pensait qu’en matière de science l’on