Page:Curwood - Kazan, trad. Gruyer et Postif.djvu/115

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Un soir, se tournant vers Henri Loti, il lui demanda, à brûle-pourpoint :

— Dis-moi, Henri, n’éprouves-tu jamais aucun remords de massacrer tant d’animaux que tu le fais ?

Le métis le regarda, les yeux dans les yeux, et hocha la tête.

— J’en ai, en effet, dit-il, tué dans ma vie des milliers et des milliers. Et j’en tuerai encore des milliers d’autres, sans m’en troubler autrement.

Il y a, dans le Wild, beaucoup de gens comme toi, reprit Paul Weyman. Il y en a eu depuis des siècles. Comme toi, ils accomplissent l’œuvre de mort ; ils livrent ce qu’on pourrait appeler la guerre de l’Homme et de la Bête. Ils n’ont pas encore, grâce au ciel, réussi partout à détruire la faune sauvage. Des milliers de milles carrés de chaînes de montagnes, de marais et de forêts demeurent inaccessibles à la civilisation. Les mêmes pistes y sont tracées, pour l’éternité peut-être. Je dis peut-être… Car, en plein désert, s’élèvent aujourd’hui des villages et des villes. As-tu entendu parler de North Battleford ?

— Est-ce près de Montréal ou de Québec ? demanda Henri.

Weyman sourit et tira de sa poche une photographie. C’était le portrait d’une jeune femme.

— Non, répondit-il. C’est beaucoup plus à l’ouest, dans le Saskatchewan. Il y a encore sept ans, je m’en allais régulièrement, chaque année, durant la saison de la chasse, tirer les poules de prairies, les coyotes[1]et les élans. Il n’y avait là, à cette époque, aucun North Battleford. Sur des centaines de milles carrés, rien que la superbe prairie. Une hutte, une seule, s’élevait au bord du fleuve Saskatchewan, là juste-

  1. Les coyotes, ou loups des prairies, sont une espèce de petit loup, qui tient à la fois du renard et du loup.