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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/112

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un homme, et si cet homme était du jeu, il disait un simple adieu à ses amis ; puis la partie continuait ! Si c’était une femme, elle faisait également ses adieux ; et son départ ne troublait pas davantage les divertissements de ceux et de celles qui lui survivaient. Cette prison était la terre en miniature, et Robespierre en était le dieu. Rien ne ressemble à l’enfer comme cette caricature des œuvres de la Providence.

Le même glaive était suspendu sur toutes les têtes, et l’homme épargné une fois ne pensait pas survivre plus d’un jour à celui qu’il voyait partir devant lui. D’ailleurs, à cette époque de délire, les mœurs des opprimés paraissaient tout aussi hors de nature que l’étaient celles des oppresseurs.

C’est de cette manière qu’après cinq mois de prison ma mère vit partir pour l’échafaud M. de Beauharnais. En passant devant elle, il lui donna un talisman arabe, monté en bague ; elle l’a toujours conservé : maintenant c’est moi qui le porte.

On ne comptait plus par semaines, le temps était divisé par dizaines : le dixième jour s’appelait le décadi, et répondait à notre dimanche, parce qu’on ne travaillait ni ne guillotinait ce jour-là. Donc, quand les prisonniers étaient arrivés au nonidi soir, ils étaient assurés de vingt-quatre heures d’existence ; c’était un siècle : alors on faisait une fête dans la prison.