Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/121

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Au moment où le 9 thermidor arriva, les prisons, à force de se désemplir, étaient presque vides, il ne restait plus que trois feuilles dans le carton de Fouquier-Tinville : celle de ma mère était toujours la dernière ; ce qui ne l’eût pas empêché de périr, car on n’en aurait guère apporté davantage ; le spectacle de la place de la Révolution commençait à lasser son public, et le projet de Robespierre et de ses conseillers intimes était, pour en finir avec les amis de l’ancien régime, d’ordonner un massacre général dans l’intérieur des prisons

Ma mère, si forte contre l’échafaud, m’a souvent dit qu’elle ne se sentait nul courage à l’idée de se voir poursuivie et blessée par des assassins avant d’être égorgée.

Pendant les dernières semaines de la terreur, les anciens guichetiers de la prison des Carmes avaient été remplacés par des hommes plus féroces, destinés à prendre part eux-mêmes aux exécutions secrètes. Ils ne dissimulaient pas aux victimes le plan formé contre elles ; le règlement de la prison était devenu plus sévère ; personne du dehors ne pouvait voir les détenus ; on n’osait leur rien envoyer ; enfin l’accès des cours et des jardins leur était interdit, parce qu’on y creusait leurs fosses ; voilà, du moins, ce qu’on leur disait ; chaque bruit lointain, chaque murmure de la ville, leur paraissait le signal du carnage, chaque nuit leur semblait la dernière.