Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/131

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Ma mère le traitait comme un ami ; ma grand-mère, madame de Sabran, et mon oncle, revenus de l’émigration, le comblèrent de marques de reconnaissance ; toutefois, il n’a jamais voulu faire partie de notre société. Il disait à ma mère (je ne vous reproduis pas exactement son langage, car il était Bordelais, et sa conversation n’était qu’une suite de gros mots), mais il disait à peu près dans son accent gascon : « Je viendrai vous voir quand vous serez seule ; lorsqu’il y aura du monde chez vous, je n’irai pas. Vos amis me regarderaient comme une bête curieuse ; vous me recevriez par bonté, car je connais votre cœur ; mais je serais mal à mon aise chez vous, et je ne veux pas de ça. Je ne suis pas né comme vous ; je ne parle pas comme vous ; nous n’avons pas eu la même éducation. Si j’ai fait pour vous quelque chose, vous avez fait tout autant pour moi : nous sommes quittes. La folie du temps nous a rapprochés un moment ; nous aurons toujours le droit de compter l’un sur l’autre, mais nous ne pouvons nous entendre. »

Sa conduite a été jusqu’à la fin conséquente à ce langage. Ma mère est restée pour lui, en toute occasion, une amie fidèle et serviable ; on m’a élevé dans des sentiments de reconnaissance envers lui ; néanmoins, dans sa physionomie, dans ses manières, il y avait toujours quelque chose qui m’étonnait.