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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/158

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La charmante baigneuse de Travemünde, que nous appelions la Monna Lise, est mariée ; elle a trois enfants. J’ai été la voir dans son ménage, et ce n’est pas sans une tristesse mêlée de timidité que j’ai passé le seuil modeste de sa nouvelle demeure ; elle m’attendait, et avec la coquetterie de cœur qui vous rappellera les gens du Nord, froids, mais sensibles en secret, elle avait mis à son cou le foulard que je lui ai donné, il y a dix ans, jour pour jour, le 5 juillet 1829… Figurez-vous qu’à trente-quatre ans cette charmante créature a déjà la goutte !…On voit qu’elle a été belle !… voilà tout. La beauté non appréciée passe vite : elle est inutile. Lise a un mari affreusement laid, et trois enfants, dont un garçon de neuf ans, qui ne sera jamais beau. Ce jeune rustre, bien élevé à la manière du pays, est entré dans la chambre la tête baissée, le regard vague, errant, et pourtant courageux. On voyait qu’il aurait fui l’étranger par timidité, non par peur, si la crainte d’être réprimandé par sa mère ne l’eût arrêté. Il nage comme un poisson, et il s’ennuie dès qu’il n’est pas dans l’eau, ou au moins sur l’eau, en bateau. La maison qu’ils habitent est à eux ; ils paraissent à leur aise, mais que le cercle où tourne la vie d’une telle famille est étroit ! En voyant ce père, cette mère et ces trois enfants, et en me rappelant ce qu’était Lise il y a dix ans, il me semblait que l’énigme de l’existence humaine s’offrait pour la pre-