Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/165

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est, et qui me permet de vous écrire sans lumière sur le tillac, pendant que les passagers sont endormis ; et quand j’interromps ma lettre en regardant autour de moi, j’aperçois déjà vers le nord-nord-est les premières teintes de l’aube matinale ; hier est à peine fini, demain commence. Cette solennité polaire est pour moi la récompense de tous les ennuis du voyage. Dans ces régions du globe, le jour est une aurore sans terme, et qui ne tient jamais ce qu’elle promet. Ces lueurs qui n’amènent rien, mais qui ne cessent pas, m’agitent et m’étonnent. Singulier crépuscule qui ne précède ni la nuit, ni le jour !… car ce qu’on appelle de ces noms dans les contrées méridionales n’existe réellement pas ici. On oublie la magie de la couleur, la religieuse obscurité des nuits, et l’on ne croit plus aux merveilles de ces climats bénis, où le soleil a toute sa puissance. Ce n’est plus le monde des peintres : c’est la nature des dessinateurs. On se demande où l’on est, où l’on va ; la clarté du jour diminue d’intensité en se répandant partout également ; où l’ombre perd sa force, la lumière pâlit ; la nuit ; il ne fait pas noir ; mais au grand jour il fait gris. Le soleil du nord est une lampe d’albâtre qui tourne incessamment, suspendue à hauteur d’appui entre le ciel et la terre.

Cette lampe allumée, sans interruption, pendant des semaines, des mois, répand indistinctement ses