Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/227

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conter ; c’est à vous seul que je le dis, car, devant des Russes, on ne peut pas parler d’histoire !… Vous savez, recommence le prince K***, que Pierre le Grand, après beaucoup d’hésitation, détruisit le patriarcat de Moscou pour réunir sur sa tête la tiare à la couronne. Ainsi, l’autocratie politique usurpa ouvertement la toute-puissance spirituelle, qu’elle convoitait et contrariait depuis longtemps ; union monstrueuse, aberration unique parmi les nations de l’Europe moderne. La chimère des papes au moyen âge est aujourd’hui réalisée dans un empire de soixante millions d’hommes, en partie hommes de l’Asie qui ne s’étonnent de rien, et qui ne sont nullement fâchés de retrouver un grand Lama dans leur Czar.

« L’Empereur Pierre veut épouser Catherine la vivandière. Pour accomplir ce vœu suprême, il faut commencer par trouver une famille à la future Impératrice. On va lui chercher en Lithuanie, je crois, ou en Pologne, un gentilhomme obscur, qu’on commence par déclarer grand seigneur d’origine, et que l’on baptise ensuite du titre de frère de la souveraine élue.

« Le despotisme russe non-seulement compte les idées, les sentiments pour rien, mais il refait les faits, il lutte contre l’évidence, et triomphe dans la lutte !!! car l’évidence n’a pas d’avocat chez nous, non plus que la justice, lorsqu’elles gênent le pouvoir. »