Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/311

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à la porte des maisons ou à l’entrée des monuments ; ces espèces de spectres en uniforme vous rappellent la discipline sous laquelle vous vivez. Pétersbourg est un camp changé en ville.

Mon guide ne me fit pas grâce d’une image ni d’un morceau de bois dans la chaumière Impériale. Le vétéran qui la garde, après avoir allumé plusieurs cierges dans la chapelle, qui n’est qu’un bouge célèbre, m’a montré la chambre à coucher de Pierre le Grand, Empereur de toutes les Russies ; un charpentier de nos jours n’y logerait pas son apprenti.

Cette glorieuse austérité peint l’époque et le pays autant que l’homme ; alors en Russie on sacrifiait tout à l’avenir, on bâtissait des monuments trop magnifiques pour la génération vivante. Les constructeurs de tant de superbes édifices publics, sans éprouver pour eux-mêmes les besoins du luxe, se contentaient du rôle d’éclaireurs de la civilisation, précédant de loin les potentats inconnus dont ils s’enorgueillissaient de bâtir la ville, en attendant que leurs successeurs vinssent l’habiter et l’embellir. Certes, il y a de la grandeur d’âme dans ce soin que prend un chef et son peuple de la puissance, et même de la vanité des générations à naître ; cette confiance des hommes vivants en la gloire de leurs arrière-neveux, a quelque chose de noble et d’original. C’est un sentiment désintéressé, poétique et fort au-dessus du