Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/331

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principe, si ce n’est de fait, l’égalité telle que la rêvent les démocrates modernes gallo-américains, Fourriéristes, etc. Mais les Russes reconnaissent une cause d’orage de plus que les autres hommes : la colère de l’Empereur. La tyrannie républicaine ou monarchique fait détester l’égalité absolue. Je ne crains rien tant qu’une logique inflexible appliquée à la politique. Si la France est matériellement heureuse depuis dix ans, c’est peut-être parce que l’apparente absurdité qui préside à ses affaires est une haute sagesse pratique ; heureusement pour nous, le fait substitué à la spéculation nous domine.

En Russie, le principe du despotisme fonctionne toujours avec une rigueur mathématique, et le résultat de cette extrême conséquence est une extrême oppression. En voyant cet effet rigoureux d’une politique inflexible, on est indigné, et l’on se demande avec effroi d’où vient qu’il y a si peu d’humanité dans les œuvres de l’homme. Mais trembler ce n’est pas dédaigner : on ne méprise pas ce qu’on craint.

En contemplant Pétersbourg et en réfléchissant à la vie terrible des habitants de ce camp de granit, on peut douter de la miséricorde de Dieu, on peut gémir, blasphémer, on ne saurait s’ennuyer. Il y a là un mystère incompréhensible ; mais en même temps une prodigieuse grandeur. Le despotisme organisé comme il l’est ici, devient un inépuisable sujet d’ob-