Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/344

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fier suffisamment de ce crime en assurant par serment que cet infortuné avait voulu brûler leurs maisons et qu’ils n’avaient fait que se défendre.

Sur de tels actes l’Empereur ordonne le plus souvent la déportation du village entier en Sibérie ; voilà ce qu’on appelle à Pétersbourg : peupler l’Asie.

Quand je pense à ces faits et à une foule d’autres cruautés plus ou moins secrètes qui ont lieu journellement dans le fond de cet immense Empire, où les distances favorisent également la révolte et l’oppression, je prends le pays, le gouvernement et toute la population en haine ; un malaise indéfinissable me saisit, je ne songe plus qu’à fuir.

Le luxe de fleurs et de livrées étalé chez les grands m’amusait ; il me révolte, et je me reproche comme un crime le plaisir que j’ai pris à le contempler d’abord : la fortune d’un propriétaire se suppute ici en têtes de paysans. L’homme non libre est monnayé, il vaut l’un dans l’autre dix roubles par an à son propriétaire qu’on appelle libre parce qu’il a des serfs. Il y a des contrées où chaque paysan rapporte trois et quatre fois cette somme à son seigneur. En Russie, la monnaie humaine change de valeur comme chez nous la terre, qui double de prix selon les débouchés qu’on trouve à ses produits. Je passe ici mon temps à calculer malgré moi combien il faut de familles pour payer un chapeau, un châle ; si j’entre dans une mai-