Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/360

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malgré la confiance involontaire qu’inspire ordinairement une noble figure ?

Un homme chargé de diriger dans ses moindres détails une machine immense, craint incessamment de voir quelque rouage se déranger ; celui qui obéit ne souffre que selon la mesure matérielle du mal qu’il ressent ; celui qui commande souffre d’abord comme les autres hommes, puis l’amour-propre et l’imagination centuplent pour lui seul le mal commun à tous. La responsabilité est la punition du souverain absolu.

S’il est le mobile de toutes les volontés, il devient le foyer de toutes les douleurs : plus on le redoute, plus je le trouve à plaindre.

Celui qui peut tout, qui fait tout, est accusé de tout : soumettant le monde à ses ordres suprêmes, il voit jusque dans les hasards une ombre de révolte ; persuadé que ses droits sont sacrés, il ne reconnaît d’autres bornes à sa puissance que celles de son intelligence et de sa force, et il s’en indigne. On l’invoque comme dieu, peu s’en faut qu’on ne l’adore, et les prières qu’on lui adresse ne font que révéler son infirmité. Une mouche qui vole mal à propos dans le palais Impérial, pendant une cérémonie, humilie l’Empereur. L’indépendance de la nature lui paraît d’un mauvais exemple ; tout être qu’il ne peut assujettir à ses lois arbitraires, devient à ses yeux un soldat qui