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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/390

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plaine non de blé, mais de colonnes. Les Russes ont beau imiter avec plus ou moins de bonheur tout ce que l’art a produit de plus beau dans tous les temps et dans tous les pays, ils oublient que la nature est la plus forte. Ils ne la consultent jamais assez, et elle se venge en les écrasant. Les chefs-d’œuvre en tous genres n’ont été produits que par des hommes qui écoutaient et sentaient la nature. La nature est la pensée de Dieu, l’art est le rapport de la pensée humaine avec la puissance qui a créé le monde et qui le perpétue. L’artiste répète à la terre ce qu’il entend dans le ciel : il n’est que le traducteur de Dieu ; ceux qui font d’eux-mêmes produisent des monstres.

Chez les anciens, les architectes entassaient les monuments dans des lieux escarpés et resserrés où le pittoresque du site ajoutait à l’effet des œuvres de l’homme. Les Russes qui croient reproduire l’antiquité, et qui ne font que l’imiter maladroitement, dispersent au contraire leurs bâtisses soi-disant grecques et romaines dans des champs sans limites, ou l’œil les aperçoit à peine. Aussi est-ce toujours des steppes de l’Asie qu’on se souvient dans ces cités où l’on a prétendu reproduire le forum romain[1]. Ils au-

  1. Ce reproche ne s’adresse qu’aux monuments construits depuis Pierre Ier ; les Russes du moyen âge, quand ils bâtissaient le Kremlin, avaient bien su trouver l’architecture qui convenait à leur pays et à leur génie.