Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/400

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l’expression des yeux ; pour un homme enfin qui n’oublie pas un instant son rôle de prince absolu ! Pour quoi non ? ce désaccord, cette dureté apparente n’est pas un tort, c’est un malheur. Je vois là une habitude forcée, je n’y vois pas un caractère ; et moi qui crois deviner cet homme que vous calomniez par votre crainte et par vos précautions comme par vos flatteries, moi qui pressens ce qu’il lui en coûte pour faire son devoir de souverain, je ne veux pas abandonner ce malheureux dieu de la terre à l’implacable envie, à l’hypocrite soumission de ses esclaves. Retrouver son prochain même dans un prince, l’aimer comme un frère, c’est une vocation religieuse, une œuvre de miséricorde, une mission sainte et que Dieu doit bénir.

Plus on voit ce que c’est que la cour, plus on compatit au sort de l’homme obligé de la diriger, surtout la cour de Russie. Elle me fait de plus en plus l’effet d’un théâtre où les acteurs passeraient leur vie en répétitions générales[1]. Pas un ne sait son rôle, et le jour de la représentation n’arrive jamais, parce que le directeur n’est jamais satisfait du jeu de ses sujets. Acteurs et directeur, tous perdent ainsi leur vie à préparer, à corriger, à perfectionner sans cesse leur interminable comédie de société, qui a pour titre

  1. Voyez même Lettre, p. 330.