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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/86

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Rien ne put ébranler la stoïque résolution du jeune prisonnier : les deux femmes à genoux, l’épouse suppliante, la mère furieuse, l’étrangère dévouée jusqu’à la mort, tout fut inutile. Le martyr de l’humanité ferma son cœur à l’égoïsme comme à la sensibilité : le sentiment de l’honneur et du devoir parlait plus haut dans cette âme que l’amour de la vie, que l’amour d’une femme ravissante de beauté, de courage, d’attendrissement, de force et de faiblesse, plus haut que l’amour paternel. Tous ces motifs étaient presque des devoirs aussi, néanmoins mon père fut inflexible : tant de jeunesse, un corps si délicat, des traits si fins et une si grande âme !… ce devait être un beau spectacle pour le ciel !

Le temps accordé à ma mère s’écoula en vaines instances ; il fallut l’emporter hors de la chambre ; elle ne voulait pas quitter la prison. Louise presque aussi désespérée la reconduisit jusqu’à la rue, où l’attendait dans une anxiété que vous comprenez, M. Guy de Chaumont-Quitry, notre ami, avec les trente mille francs en or.

« Tout est perdu, » lui dit ma mère, « il ne veut plus se sauver.

— J’en étais sûr, » répondit M. de Quitry.

Ce mot, digne de l’ami d’un tel homme, m’a toujours paru presque aussi beau que la conduite de mon père.