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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/88

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Ma mère s’approcha de mon père avec calme, l’embrassa en silence et s’assit pendant trois heures auprès de lui. Durant ce temps, pas un reproche ne fut exprimé : la mort était là. Le sentiment trop généreux peut-être qui avait amené cette catastrophe était pardonné, pas un regret ne fut avoué : le malheureux avait besoin de toutes ses forces pour couronner son sacrifice. Peu de paroles furent échangées entre le condamné et sa femme ; mon nom seul fut prononcé plusieurs fois, et ce nom leur brisa le cœur….. Mon père demanda grâce….. ma mère ne parla plus de moi.

Dans ces temps héroïques, la mort était un spectacle où les victimes mettaient leur honneur à ne pas fléchir devant les bourreaux ; ma pauvre mère respecta dans le cœur de mon père si jeune, si beau, si plein d’âme, d’esprit, et naguère encore si heureux, le besoin de conserver tout son courage pour le lendemain ; cette dernière épreuve d’un caractère noble était devenue alors le premier des devoirs, même aux yeux d’une femme naturellement timide. Tant il est vrai que le sublime est toujours à la portée des âmes sincères ! Nulle femme n’était plus vraie que ma mère ; aussi personne n’eut plus d’énergie dans les grandes circonstances. Minuit approchait ; craignant de se trouver mal, elle allait se lever et se retirer.