Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/109

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La moquerie est le trait dominant du caractère des tyrans et des esclaves. Toute nation opprimée a l’esprit tourné au dénigrement, à la satire, à la caricature ; elle se venge de son inaction et de son abaissement par des sarcasmes. Reste à calculer et à formuler le rapport qui existe entre les nations et les constitutions qu’elles se donnent ou qu’elles subissent. Mon opinion est que chaque nation policée a pour gouvernement le seul qu’elle puisse avoir. Je ne prétends pas vous imposer ni même vous exposer ce système : c’est un travail que je laisse à de plus dignes et à de plus savants que moi ; mon but aujourd’hui est moins ambitieux, c’est de vous décrire ce qui me frappe dans les rues et sur les quais de Pétersbourg.

En quelques endroits la Néva disparaît, couverte par des barques de foin. Ces rustiques édifices sont plus grands que bien des maisons, et leur aspect me semble pittoresque et ingénieux comme tout ce que les Slaves ne doivent qu’à eux-mêmes. Ces barques, habitées par les hommes qui les conduisent, sont tendues de tapis de paille, espèce de sparterie qui, toute grossière qu’elle est, donne un air de pavillon oriental, de jonque chinoise au mobile édifice : ce n’est qu’à Pétersbourg que j’ai vu des murailles de foin tapissées de paillassons, et des familles sortir de dessous ce foin comme des bêtes s’élançant de leurs tanières.